La plaie que, depuis le temps des cerises,
Je garde en mon coeur s'ouvre chaque jour.
En vain , les lilas, les soleils, les brises
Viennent caresser les murs des faubourgs.
Pays des toits bleus et des chansons grises
Qui saignes sans cesse en robe d'amour,
Ex plique pourquoi ma vie s'est éprise
Du sanglot rouillé de tes vieilles cours.
Aux fées rencontrées le long du chemin
Je vais racontant Fantine et Cosette.
L'arbre de l'école, à son tour, répète
Une belle histoireoù l'on dit demain
Ah! que jaillisse enfin le matin de fête
Où sur les fusils s'abattront les poings!
Jean Cassou
Le mai de Guillaume Apollinaire
Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous êtes si jolies mais la barque s'éloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains
Or des vergers fleuris se figeaient en arrière
Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j'ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupières
Sur le chemin du bord du fleuve lentement
Un ours un singe un chien menés par des tziganes
Suivaient une roulotte traînée par un âne
Tandis que s'éloignait dans les vignes rhénanes
Sur un fifre lointain un air de régiment
Le mai le joli mai a paré les ruines
De lierre de vigne vierge et de rosie
Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers
Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes
Guillaume Apollinaire
Alcools
LA FILEUSE Paul Valery (1871-1945 )
Assise, la fileuse au bleu de la croisée
Où le jardin mélodieux se dodeline ;
Le rouet ancien qui ronfle l'a grisée. Lasse, ayant bu l'azur, de filer la câline
Chevelure, à ses doigts si faibles évasive,
Elle songe, et sa tête petite s'incline. Un arbuste et l'air pur font une source vive
Qui, suspendue au jour, délicieuse arrose
De ses pertes de fleurs le jardin de l'oisive. Une tige, où le vent vagabond se repose,
Courbe le salut vain de sa grâce étoilée,
Dédiant magnifique, au vieux rouet sa rose. Mais la dormeuse file une laine isolée ;
Mystérieusement l'ombre frêle se tresse
Au fil de ses doigts longs et qui dorment, filée. Le songe se dévide avec une paresse
Angélique, et sans cesse, aux doux fuseaux crédule,
La chevelure ondule au gré de la caresse… Derrière tant de fleurs, l'azur se dissimule,
Fileuse de feuillage et de lumière ceinte :
Tout le ciel vert se meurt. Le dernier arbre brûle. Ta sœur, la grande rose où sourit une sainte,
Parfume ton front vague au vent de son haleine
Innocente, et tu crois languir… Tu es éteinte Au bleu de la croisée où tu files
MON FREREdepuis toujours
il faut que je te dise
depuis notre retour
dans notre île aimée
tu fais partie de nous
de moi de mes enfants
de mes petits enfants
qui ont su immédiatement
l'homme que tu étais
et qui t'aimaient
ton village à toi semblable
souriant et austère à la fois
jamais tu ne l'as quitté
il t'incarne à jamais
point d'attache pour nous tous
libre et indépendant
sans concession
fidèle à ton idéal
malgré ton amertume parfois
tu nous as quittés aujourd'hui
brutalement
et aujourd'hui
défilent des images
d'autrefois ensoleillées dans la lumière de nos étés
dans ta jeunesse vigoureuse
travailleur infatigable et efficace
piochant bêchant
dans les vignes....
en barque sur la sainte Anne
au petit matin
avec ton père et tes frères
le soir trayant les vaches
ramenant au bercail ânes et mulets
toujours en partance...
penché sur le guidon de ta bicyclette
filant tête baissée dans l'effort tendu
tel un champion
éclair rapide
le son d'un harmonica
accompagne les chansons que tu aimais
et ces pauvres clichés en noir et blanc
se transforment magiquement sous tes crayons
en miniatures aux couleurs pastel
je te revois à ton retour d'Algérie
incapable d'oublier
les horreurs de cette guerre le visage fermé
tu ne souriais plus
j'entends aujourd'hui encore
ta colère au moment d'Aleria
nous l'avons partagée entièrement avec toi
avec la foi et les illusions de notre jeunesse
enfants et petits enfants les tiens les miens
se souviendront toujours
de la gentillesse de ton sourire quand tu les accueillais
dans ta belle maison auprès
de ta femme si aimante
fumant ta pipe assis
dans ton fauteuil ,
image gravée dans nos coeurs
de l' homme fier et entier que tu es nous t'aimerons toujours
NOUS DORMIRONS ENSEMBLE
NOUS DORMIRONS ENSEMBLE
Louis Aragon
Que ce soit dimanche ou lundi
Soir ou matin minuit midi
Dans l’enfer ou le paradis
Les amours aux amours ressemblent
C’était hier que je t’ai dit Nous dormirons ensemble
C’était hier et c’est demain
Je n’ai plus que toi de chemin
J’ai mis mon coeur entre tes mains
Avec le tien comme il va l’amble
Tout ce qu’il a de temps humain
Nous dormirons ensemble
Mon amour ce qui fut sera
Le ciel est sur nous comme un drap
J’ai refermé sur toi mes bras
Et tant je t’aime que j’en tremble
Aussi longtemps que tu voudras
Nous dormirons ensemble
LOUIS ARAGON
”Charlotte à sa fenêtre”
Flamme vivante panache flamboyant
Elan fauve dans l'espace planant
Grâce féline,
Beauté aérienne et puissante
Dans la paille dorée au soleil mêlant
Ta toison foisonnante
Ame de la maison déesse tutélaire
Tes yeux d'or longtemps me hanteront
Longtemps je te verrai ombre familière
dans ces lieux désertés au bout de tes vingt ans
Sous le ciel étoilé dans ton sommeil profond
Ton corps si léger repose maintenant
Au pied du grenadier